Abraham ou le sens du sacrifice

 

 

Genèse 22.2. Dieu dit : « Prends ton fils, ton unique, que tu aimes, Isaac, et va t’en au pays de Moriyya ; là offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je te dirai. » […]

9. Quand ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait dit, Abraham y bâtit l’autel ; il disposa le bois, lia Isaac, son fils, et le mit sur l’autel, par dessus le bois.

10. Puis Abraham étendit la main et prit le couteau pour immoler son fils.

11. Mais l’Ange de Yahvé l’appela du ciel et dit : « Abraham ! Abraham ! » Il dit : « Me voici. »

12. L’Ange dit : « Ne porte pas la main sur le garçon et ne lui fais rien, car maintenant je sais que tu crains Dieu et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. »

 

Quel sacré blagueur ce Dieu. Quel sens moral cet Abraham, ce n’est pas pour rien qu’il est vénéré par les trois monothéismes, il est le symbole de l’Alliance des humains et de Créateur. Offrir son fils en holocauste, c’est la plus belle de toutes les preuves d’amour. Aucune réflexion, aucun remords de la part du patriarche, une soumission aveugle aux ordres du Chef. « Je ne faisais qu’obéir à des ordres », se justifiaient les criminels nazis lors du procès de Nuremberg. Hannah Arendt [1], spécialiste des totalitarismes, estime que « le pouvoir total ne peut-être achevé et préservé que dans un monde de réflexes conditionnés, de marionnettes ne présentant par la moindre trace de spontanéité ». Certains estiment que par cet acte Dieu met fin à la pratique du sacrifice humain, pourtant Il réclame aussi un tribut de 32 idolâtres à Moïse (Nombres 31. 25-41.).

L’acte est très ritualisé, il faut d’abord égorger le bétail, asperger l’autel avec le sang, dépecer la bête en quartiers, les poser sur le bois, en n’oubliant pas de laver les intestins et enfin « fumer le tout à l’autel » car c’est « apaisant pour Yahvé. » (Lévitique 1.1-9.). Attention, cela ne fonctionne qu’avec les mâles, Dieu n’aime pas l’odeur des femelles. Méfie-toi tout de même si tu es l’enfant d’un grand prophète au cas où l’envie lui reprendrait de faire un barbecue, et ça t’économisera des séances de psychanalyse à l’âge adulte.

Isaac n’était pas vraiment fils unique puisqu’il avait un frère ainé, Ismaël, mais celui-ci a été répudié pour cause de bâtardise : un drame familial un peu compliqué. Sara, la femme d’Abraham a été momentanément stérile, quelques dizaines d’années. Altruiste, elle a prêté l’une de ses esclaves à son mari pour lui assurer une lignée. Mais à l’approche de l’âge mûr, blette, poussiéreuse, de 90 ans, elle s’est retrouvée fécondée. L’histoire d’amour gérontophile entre Abraham et Sara est édifiante, style couple libéré. Certes Abraham a eu de nombreuses concubines, mais elles n’étaient que des esclaves, alors que Sara a eu Pharaon pour amant, c’est un autre standing ! Et avec la bénédiction de son mari, pas désintéressé pour le coup, limite assisté :

Genèse 12.11. Or, sur le point d’entrer en Egypte, il dit à Saraï, sa femme : « Vois, je sais que tu es une femme belle à voir.

12. Lors donc que les Egyptiens te verrons, ils diront : c’est sa femme, et ils me tueront et te laisseront en vie.

13. Dis, je te prie, que tu es ma sœur, afin qu’il m’arrive du bien à cause de toi, et que je vive grâce à toi. »

14. Lors que Abram fut entré en Egypte, les Egyptiens virent que la femme était très belle.

15. Des officiers de Pharaon la virent et la vantèrent à Pharaon, et la femme fut emmenée à la maison de Pharaon.

16. Celui-ci traita bien Abram à cause d’elle ; il eut du petit et du gros bétail, des esclaves – hommes et femmes – des ânesses et des chameaux.

Dieu se fâche de sa turpitude et en toute logique massacre les égyptiens. Pharaon se rend compte de la duperie et chasse Abraham. On ne se refait pas, Abraham tente à nouveau de pousser sa femme dans les bras d’un autre roi, Abimèlek, pour les mêmes raisons. La supercherie découverte, le prophète se justifie :

Genèse 20.10. Abimèlek dit encore à Abraham : « Qu’avais tu en vue pour faire cette chose-là ? »

11. Abraham dit : « Je m’étais dit sûrement, il n’y a aucune crainte de Dieu en ce lieu, et on me tuera à cause de ma femme.

12. Et puis, elle est vraiment ma sœur, la fille de mon père, mais non la fille de ma mère, et elle est devenue ma femme.

Sa demi sœur donc. Abram a changé de nom en cours de route, c’est vrai qu’Abraham ça sonne mieux. C’est à ce moment que le proxénète va chercher à se faire pardonner sa faute, en tentant d’assassiner son fils bien-aimé pour s’attirer la sympathie de Bienfaiteur…

Dieu aime les holocaustes, l’odeur du sang des animaux, agneaux, moutons ou humains. S’il a eu des remords avec Isaac, certainement parce que c’était un garçon, la fille de Jephté, elle, a été au bout de son destin :

Juges 11.30. Jephté voua un vœu à Yahvé ; il dit : « Si tu veux bien livrer les fils d’Ammon entre mes mains,

31. celui qui sortira de la porte de ma maison à ma rencontre, quand je reviendrai en paix de chez les fils d’Ammon, celui-là appartiendra à Yahvé, et je l’offrirai en holocauste. »

32. Jephté passa chez les fils d’Ammon pour les combattre, et Yahvé les livra entre ses mains.

33. Il les battit depuis Aroér jusqu’aux abords de Minnit –vingt villes – et jusqu’à Abel-Keramim : une très grande défaite ! Les fils d’Ammon furent abaissés devant les fils d’Israël.

34. Quand Jephté arriva à sa maison, à Miçpa, voici que sa fille sortait à sa rencontre avec tambourins et danses. C’était son unique enfant : en dehors d’elle il n’avait ni fils ni fille.

35. Lors donc qu’il la vit, il déchira ses habits et dit : « Ah ! ma fille comme tu m’accables ! C’est toi qui me porte malheur ! Mais moi, j’ai ouvert la bouche pour Yahvé ; je ne puis me dédire. »

36. Elle lui dit : « Mon père, tu as ouvert ta bouche pour Yahvé ; traite-moi selon ce qui est sorti de ta bouche, après que Yahvé t’a procuré la vengeance sur tes ennemis, les fils d’Ammon. »

37. Puis elle dit à son père : « Que ceci me soit accordé ! Laisse-moi un répit de deux mois, que j’aille errer sur les montagnes et pleurer ma virginité, moi et mes compagnes. »

38. Il dit : « Va », et il la laissa partir pour deux mois. Elle s’en alla elle et ses compagnes, et elle pleura sa virginité sur les montagnes.

39. Au bout de deux mois, elle revint vers son père, et il exécuta à son égard le vœu qu’il avait voué. Elle n’avait pas connu d’hommes !

Comme c’est émouvant. Enfin une enfant compréhensive et obéissante, ça devient rare de nos jours. Remarquez que Jephté est rongé par la culpabilité « c’est toi qui me porte malheur », parce sa fille a ouvert une porte, trop heureuse d’accueillir son père. Etrange contrat tout de même, d’habitude Dieu se contente du sacrifice d’un animal. A moins qu’il ne s’agisse pas d’une gaffe mais d’un plan machiavélique de Jephté qui aurait mal tourné : à part sa femme et sa fille unique, il était peu probable qu’il y ait quelqu’un d’autre chez lui, surtout pas un homme. Ne pensait-il pas voir sa femme en premier et enfin devenir un veuf joyeux ? N’y avait-il pas école ce jour-là ? Peu importe à vrai dire, Jephté est malgré tout considéré comme l’un des grands héros de la Bible pour ses victoires militaires (Hébreux 11.33.). Dieu approuve son acte. Après tout, pour les chrétiens, l’Infiniment Grand a bien sacrifié son propre fils, Jésus ; mais c’était pour la bonne cause : éviter d’égorger d’autres moutons ou enfants… Les musulmans, fidèles héritiers du judaïsme, commémorent tous les ans le glorieux épisode du sacrifice effectué par Abraham lors de l’Aïd, à la nuance qu’Ismaël a remplacé son demi-frère Isaac dans le Coran, ça sonne plus arabe (Sourate 22.26/27.)

A noter que les grecs ont encore une fois lamentablement détourné cette histoire vraie pour la travestir en mythe, celui d’Idoménée, qui, de retour de la guerre de Troie, pour échapper à une effroyable tempête, promet à Poséidon  de sacrifier la première personne qu’il rencontrera en débarquant ; surprise, c’est son fils.

 

Tu as réussi à faire ton choix entre le judaïsme, le christianisme et l’islam ? C’est vrai, cela t’est en réalité quasiment impossible, tu auras celle de tes parents, bourrage de crâne et communautarisme obligent. Toutefois, à l’âge adulte, tu pourras prendre pour modèle Al-Khattab alias Joseph Leonard Cohen, juif ultra-orthodoxe converti à l’islam radical, condamné pour antisémitisme[2].

 


[1] Hannah Arendt, Le système totalitaire, Seuil, 2005

[2] http://www.fait-religieux.com/un-juif-ultra-orthodoxe-converti-a-l-islam-coupable-d-incitation-a-la-haine-contre-la-communaute-juive