Aparté : Comment naît (et meurt) une religion ?

 

Christopher Hitchens[1] explique que le fondateur de la religion mormone au XIX° siècle, le prophète Joseph Smith, se présentait comme « un nouveau Mahomet », illettré lui aussi. Il prétendait avoir des pouvoirs de nécromancien et que Dieu lui avait révélé l’existence d’un texte, « Le Livre de Mormon », par l’intermédiaire d’un ange, traduction d’un récit ancien gravé sur des plaques d’or enterrées près de chez lui (malencontreusement disparues). Certains parlent d’un plagiat éhonté de passages entiers de la Bible et du Coran. Comme Mahomet, il avait des révélations fortuites, lui accordant de nouvelles femmes notamment (plusieurs dizaines, pour la plupart âgées de 14 à 20 ans). Jésus Christ lui aurait dit de fonder une nouvelle religion car les autres étaient "toutes dans l'erreur et que tous leurs credo étaient une abomination." Un quatrième monothéisme donc. Malgré son emprisonnement pour escroquerie et violence, l’Eglise mormone a connu un vif succès et compte de nos jours plusieurs millions d’adeptes.

 

Des religions naissent très régulièrement. L’église de scientologie fondée en 1954 par un écrivain de science-fiction, L.R. Hubbard, propose à ses adhérents de progresser spirituellement par étape, chaque pallier nécessitant à l’initié d’alléger sa bourse afin d’alléger son âme. L’Association internationale pour la conscience de Krishna fondée en 1966 par Swami Prabhupada, a popularisé le huitième avatar de Vishnou grâce à son tube planétaire « Hare Krishna ». Le mouvement raëlien a été fondé par Claude Vorilhon à la suite d’un dialogue avec un extra-terrestre en 1973.

 

 

Parfois, une religion peut apparaître sans même avoir besoin d’un prophète comme c’est le cas pour les religions du cargo[2]. Dans le Pacifique, pendant la seconde guerre mondiale, les indigènes de nombreuses îles eurent la surprise d’observer des soldats descendre de navires ou d’avions, chargés de produits inconnus et équipés d’une technologie mystérieuse, comme le poste radio, et faisant toutes sortes de choses inutiles. Les indigènes de plusieurs îles (sans contacts entre elles), médusés, se sont mis à construire des antennes en bambou et des pistes d’atterrissage, à élaborer des rites après le départ des dieux américains. Selon Arthur C. Clarke : « Toute technologie suffisamment avancée est impossible à distinguer de la magie. »  Les prophètes sont arrivés plus tard, comme sur l’île de Tana, annonçant le retour glorieux de John Frum, qui apportera une période de prospérité, un nouveau cargo bondé de denrées. En 1950, le grand prêtre Nambas expliquait au naturaliste David Attenborough que son messie lui parlait régulièrement grâce à une radio qu’il avait fabriqué lui-même. Ce culte existe toujours et John Frum n’est toujours pas revenu. Ils peuvent bien attendre deux mille ans… Quand on pense qu’ils ont pris les américains pour des dieux ! C’était déjà arrivé avec les mayas face aux conquistadors (plutôt des démons dans les faits).

 

Toi aussi tu peux te fabriquer une religion et devenir prophète. D’abord, écrit un livre dense et confus, emplis de contradictions, de magie et de monstres, de rites et de commandements. Plus il y aura d’énormités, mieux ce sera. Puis jure que tu tiens ce message d’un ange, qui le tient d’un Dieu et accrédite ta thèse à l’aide de quelques amis. Cible tes victimes, de préférence un groupe ethnique ou une classe sociale, plutôt des rustres, et élabore une stratégie marketing, mélangeant frayeur et espérance. Il faut trouver un ennemi, associé au mal absolu, pour galvaniser tes troupes et crier à la conspiration. Tu dois être obligatoirement un homme, et si possible barbu.

 

Attention tout de même, les vraies religions s’agacent lorsque l’on menace leurs parts de marché, et se crispent encore plus lorsque l’on se moque d’elle. En 2005, Bobby Henderson s’y est essayé d’une manière non conformiste, ce qui lui a valu de nombreuses menaces de mort. Il a créé le pastafarisme, un Dieu représenté sous la forme d’un plat de spaghettis volant, invisible et indétectable, sur le principe de la théière de Russel. Ce dernier a essayé de pervertir les consciences en expliquant que ce n’est pas aux sceptiques de prouver que Dieu n’existe pas mais aux croyants de prouver qu’Il existe[3].

 

Bertrand Russel, « Is there God ? », 1952.

« De nombreuses personnes orthodoxes parlent comme si c'était le travail des sceptiques de réfuter les dogmes plutôt qu'à ceux qui les soutiennent de les prouver. Ceci est bien évidemment une erreur. Si je suggérais qu'entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire pour peu que j'aie pris la précaution de préciser que la théière est trop petite pour être détectée par nos plus puissants télescopes. Mais si j'affirmais que, comme ma proposition ne peut être réfutée, il n'est pas tolérable pour la raison humaine d'en douter, on me considérerait aussitôt comme un illuminé. Cependant, si l'existence de cette théière était décrite dans des livres anciens, enseignée comme une vérité sacrée tous les dimanches et inculquée aux enfants à l'école, alors toute hésitation à croire en son existence deviendrait un signe d'excentricité et vaudrait au sceptique les soins d'un psychiatre à une époque éclairée, ou de l'Inquisiteur en des temps plus anciens. »

 

 

 Mais toi, en tant que fanatique, tu n’as rien à prouver ! Savoir manipuler une arme est toujours le meilleur des arguments.

 

Les religions naissent mais meurent aussi. La plupart des religions disparaissent au bout de quelques années d’existence seulement ; le culte d’Aton, Dieu unique et universel, en Egypte, le premier monothéisme avéré de l’histoire au XIV° siècle avant J.C. (la codification de l’Ancien Testament débute au VII° siècle avant J.C.), n’a pas survécu à la mort de son prophète, un pharaon pourtant, l’avant-gardiste Akhenaton. Sigmund Freud[4] soutient que le culte d’Aton serait à l’origine du judaïsme. Des croyances solidement ancrées depuis des siècles comme les polythéismes antiques ou précolombiens d’Amérique du sud se sont éteintes. Pourquoi ? Tout simplement à coup de persécutions et d’exécutions, c’est très persuasif. Les rares rescapés des génocides se disent que leur Démiurge est nul, qu’il n’arrive pas à les protéger, qu’il faut donc en changer. C’est le rôle des prêtres de pourchasser ceux qui sont tentés par l’apostasie. Par exemple les rabbins s’acharnent à expliquer que les malheurs du peuple juif ne sont que des tests divins maintes fois répétés pour endurcir leur foi. Selon Hannah Arendt [5] « les membres fanatisés ne peuvent être atteints ni par les épreuves, ni par l’argumentation ».

Pour les théoriciens de l’évolution[6], la religion permet d’augmenter la cohésion du groupe et donc sa capacité de survie. Plus la religion est totalitariste, plus elle est résistante. Le judaïsme mérite bien un Darwin awards, adaptant son polythéisme en monolâtrisme et enfin en monothéisme. Impressionné par son acharnement à survivre, d’autres peuples ont adopté et acclimaté son modèle.

Actuellement, le yézidisme est enfin en train d’être définitivement éradiqué par les musulmans de l’Etat islamique en Syrie et en Irak. Ils font le job que les chrétiens ont sous-traité. Tu sais ce qu’il te reste à faire…



[1] Christopher Hitchens, Dieu n’est pas grand, Pocket, 2012, p.221-231

[2] Richard Dawkins, Pour en finir avec Dieu, Tempus Perrin, 2009, p.259-265

[3] Euclide : « Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve »

[4] Sigmund Freud, L’homme Moïse et la religion monothéiste, Gallimard, 1993

[5] Hannah Arendt, Le système totalitaire, Seuil, 2005, p.41

[6] Richard Dawkins, Pour en finir avec Dieu, Tempus Perrin, 2009, p.219